#1245
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par Drahe » 02 avr. 2012, 13:49
Dimanche 1 Avril 1998:
Delta Green, l'île solitaire: Une fois n'est pas coutume, puisqu'un joueur m'avait prévenu de son absence, et que les deux autres étaient plongés dans un coma artificiel post-marvelatique, j'ai gardé mon dernier joueur pour une séance courte en solo. Cette partie m'a emmené sur un terrain où je suis relativement à l'aise: l'improvisation poulpique totale (et je crois qu'il n'y a qu'à Cthulhu que je peux aisément improviser pour l'instant, je dois encore monter cette comp pour l'appliquer à d'autres jeux).
L'art africain, silence ou secret?
Alors qu'un de ses collègues est retenu par un juge d'instruction pour un témoignage sur l'opération "écho", et que les deux autres sont partis en vac... investigation à Los Angeles, l'agent Nelson Herving, nom de code Peter, se retrouve seul à Chicago. Marcus, chef d'une autre cellule de Delta Green, lui passe un coup de fil depuis une ligne sécurisée et lui donne rendez-vous dans une galerie d'art.
La galerie Bélial mélange sans complexe art contemporain et arts traditionnels africains. Les masques, appuie-têtes, trônes de bois, pagaies de cérémonies et autres artefacts culturels côtoient les sculptures néo-cubistes et les peintures conceptuelles, dans une dédale exiguë qui rend l'atmosphère oppressante. Marcus, l'attend, les traits tirés par le manque de sommeil, devant un long masque blanc de cérémonie secrète. Allumant une cigarette light, Marcus lui demande s'il n'a pas été suivi, avant de lui tenir ce discours:
"L'art africain, ça vous intéresse? Moi oui, normal, je suis un afro-américain descendant de la traite transatlantique, l'Afrique me fascine et m'indiffère à la fois. Il n'y a pas de mot, dans aucune langue africaine, pour dire "art". Ce sont les occidentaux qui regroupent la sculpture, la musique, la danse et le reste sous un seul nom. Pour les Africains, ce sont des choses séparéées. Le masque, par exemple, est un art traditionnel qui relève souvent de la magie, il n'est pas toujours fait pour être montré. Celui-ci, par exemple, est un masque de société secrète, que certains membres de la tribu ne mettaient que pour des cérémonies cachées. Bien sûr, le masque ne servait pas à l'anonymat, la tribu était trop restreinte, on savait qui était derrière... Mais on n'en parlait pas. Ce n'était pas tout à fait un secret, mais un silence... Vous comprenez la différence? Pensez au sexe: ce n'est pas un secret, tout le monde sait de quoi il s'agit... Mais on n'en parle pas devant tout le monde. Il en va de même des sociétés secrètes."
Après son speech, Marcus entre dans le vif du sujet: les charognards du temps peuvent être maîtrisés. En fait, depuis le rapport sur les charognards du temps, Delta Green avait dépêché une cellule pour découvrir le moyen de les combattre... Ils sont morts pour transmettre ces informations. Il faut un sortilège précis, dont la cellule alpha estime qu'il est extrêmement difficile à trouver. Il semblerait qu'une secte de l'Illinois, sur les rives du lac Michigan, se soit procurée des textes occultes décrivant cette opération. Ils ont en leur possession une tablette de jade noire, et sa traduction anglaise approximative, un petit livre du début du siècle, un de ces ouvrages universitaires poussiéreux et oubliés de tous, tirés à quelques centaines d'exemplaires seulement, absolument introuvable depuis des décennies. Paru pendant la guerre, il n'a intéressé personne et des générations de bibliothécaires en manque de place dans les rayonnages ont contribué à son extermination. Détail important, il se pourrait que la traduction soit trop vague, et ne suffise pas à comprendre les sortilèges, se procurer la tablette originale serait plus sûr, même si cela demanderait un travail de traduction de la part de la cellule alpha.
Apparemment, la cellule éteinte de Delta Green a eu le temps d'enquêter en profondeur avant de mourir: la secte en question a pour façade "l'Eglise de la Troisième Révélation", un mélange d'église méthodiste où l'on chante du gospel, accompagnée d'un attachement aux rituels d'exorcisme et de guérison menés par un leader charismatique. Cette église est située dans un quartier pauvre de la connurbation de Chicago, et attire essentiellement des noirs. En réalité, l'église se sert de son public protestant comme d'une couverture pour dissimuler une société secrète, qui se réunit sur une île du lac Michigan. Officiellement, la petite île forestière est inhabitée et protégée en tant que réserve ornithologique pour oiseaux migrateurs.
L'agent Herving s'organise, négocie avec Marcus l'obtention de congés par une ingéniérie sociale dont Delta Green a le secret, prend du matériel adapté à une infiltration nocturne, et enfourche sa moto. Direction Creeptown, la ville côtière la plus proche de l'île.
"Un week-end de pêche au bord du lac, le tout aux frais de la princesse!"
L'auberge de la ville est conviviale, les habitants sont en majorité des noirs et des cajuns remontés de la Lousiane pour s'installer sur ces rives paradisiaques, et qui accueillent des touristes canadiens à la belle saison. Le patois local est un mélange de cajun, français, anglais, créole, le tout mâtiné d'accent canadien. Arrivant à se faire comprendre malgré tout, Nelson obtient une belle chambre pour un prix modique, et va louer un zodiac en prétextant qu'il fera des photos de l'île.
Pendant l'après-midi, il fait le tour de l'île en bateau et prend de nombreuses photos. Elle fait moins d'un kilomètre de long, et semble peuplée d'arbres qui ne devraient pas survivre sous des latitudes pareilles. A quelques kilomètres de la frontière canadienne, on ne s'attend pas à voir des cèdres et séquoias dans ce qui devrait être une forêt de conifère. Les oiseaux sont bien au rendez-vous, nombreux et magnifiques. Avec un téléobjectif sur l'appareil, Nelson prend de nombreuses photos et espionne la zone, jusqu'à trouver un spectacle glaçant... A côté d'un ponton à moitié effondré, deux noirs sont en train de traîner un corps blanc et nu dans l'île. Pire encore, un des noirs relève la tête, l'oeil attiré par un éclat lumineux... Le reflet du soleil dans le téléobjectif. Nelson baisse l'appareil, en proie au doute: a-t-il été vu? Il repart en zodiac et attend la nuit.
Une fois l'obscurité installée, il revient en zodiac sur l'île, coupant le moteur et continuant à la rame sur les cint-cent derniers mètres. Il aborde l'île sur un point diamétralement opposé au débarcadère de fortune qu'il a observé. Partant d'une plage de gravillons noirâtres, il s'enfonce dans la forêt, en tenue de camoufflage, le Desert Eagle coincé dans le holster, l'appareil photo équipé d'un flash à spectre rouge anti-éblouissement, spécialement conçu pour le reportage animalier nocturne (quand un joueur dépense 65pts de création en Photographie, il ne faut pas être radin en accessoires). Les premiers mètres sont accompagnés de simples cris d'oiseaux. Après s'être enfoncé suffisamment pour que la lumière lunaire ne perce plus le feuillage, Nelson allume son projecteur à spectre rouge, et tombe sur une fourmilière impressionnante dont sortent des colonnes de fourmis. Essayant de les éviter, il s'aperçoit qu'à la souche d'un arbre, les différentes colonnes s'entrecroisent pour former un pentacle. Les cris d'oiseaux sont de plus en plus anarchiques. Enfin, on entend des tambours sur un rythme irrégulier et dérangeant. Avançant avec prudence, Nelson panique lorsqu'il se rend compte que les tambours se synchronisent avec ses pulsations cardiaques. Il se met à courir, et les tambours accélèrent et s'intensifient. Il se perd, et les tambours s'arrêtent, avant de repartir.
Suivant le son, il arrive à percevoir un feu. Pas un petit feu de campeur, un gigantesque bûché, dans lequel est dressé un crucifix géant où noircit un corps boursoufflé. Autour du feu, les joueurs de djembé, tous masqués, poursuivent leurs rythmes insidieux, tandis que juché sur une tribune de bois, un grand homme nu et masqué récite une litanie, d'une voix claire et suave qui surpasse et enveloppe les tambours. Derrière cet homme, sur un pupitre, se trouve une tablette noire, luisante d'humidité. Et derrière la scène, un bunker de béton fissuré par des racines prend des allures de pyramide tronquée.
Nelson contourne la clairière et trouve l'entré secondaire du bunker. Sa porte rouillée n'est pas verrouillée (les pnjs aussi peuvent rater leurs jets d'idée). A l'intérieur, quatre pièces. L'une d'elle est un bureau d'étude comportant une petite bibliothèque, et un globe terrestre de bois, ouvert à l'équateur pour révéler sa fonction de minibar. La seconde pièce est une chambre confortable, au fond de laquelle est installée une cage contenant une femme maigre et enchaînée. Nelson ne la voyant pas réagir, il décide de privilégier la mission. La porte de la troisième pièce émet une raie de lumière, et laisse entendre une conversation dans une langue étrangère. La quatrième pièce est un petit dortoir. Nelson retourne au cabinet de travail, et fouille la bibliothèque jusqu'à trouver le petit ouvrage indiqué par Marcus: la traduction anglaise des tablettes. Au moment où il va sortir du bunker, la porte de la troisième pièce s'ouvre. Nelson réussit à se glisser discrètement hors du bâtiment et referme doucement la porte... Trop doucement. Sur les dix derniers centimètres, les charnières rouillées émettent un affreux grincement... Immédiatement suivi du "clic-tchak" caractéristique d'un fusil d'assaut qu'on arme.
FPS: Forest People Shooting
Alors que Nelson se planque en vitesse derrière un tronc d'arbre, deux hommes noirs et armés sortent du bunker. Un trentenaire en chemise hawaïenne jaune sale, et un légèrement plus âgé, enveloppé dans un costume d'homme d'affaire. Costard, puisque nous l'appellerons ainsi, repère Nelson et tire une rafale d'AK-47 qui part complètement à côté. Trompé par l'orientation curieuse des tirs, chemise jaune braque son arme dans cette mauvaise direction, ce qui laisse à Nelson le répit nécessaire pour détaler dans la forêt. Les deux hommes le voient aussitôt et tirent. Costard manque très largement sa cible, mais chemise jaune semble beaucoup plus dangereux et envoie des balles qui le frôlent en faisant éclater l'écorce d'un arbre près de lui. La prochaine rafale est la bonne, Nelson est salement touché à l'épaule et se réfugie derrière un arbre pour répliquer. Malgré l'obscurité et la douleur, l'agent Harving crache un tir fabuleusement précis qui atteint chemise jaune en pleine gorge (02). La puissance du Desert Eagle est telle que l'homme est décapité par l'explosion, son corps parcouru de spasmes s'effondre dans une marre de sang, tandis que costard se fige d'effroi. Profitant de son immobilité, Nelson tire une seconde fois, et atteint le thorax de costard, qui bondit de quelques mètres en arrière sous l'impact, le coeur explosé (réussite spéciale). De l'intérêt d'avoir une arme impossible à dissimuler, conçue pour exploser le moteur de voitures-bélier.
Les coups de feu ont cependant attiré les sectateurs. Des hommes noirs et nus en masque blanc poursuivent Nelson, qui avec une torche, qui avec un poignard. L'agent Herving court ventre à terre en essayant de ménager son appareil photo. Sur la dizaine de poursuivants, seuls trois semblent capables de le rattraper, un terrible sprinter et deux coureurs de fond qui semblent prêts à le traquer sur des kilomètres. Nelson tire, et le sprinter plonge derrière un arbre sous la panique. Personne n'est touché, mais les assaillants comprennent le message. Nelson arrive à semer ses poursuivants et ressort sur la grève. Il reprend ses esprits et arrive à s'orienter, il lui reste une longue marche avant de revenir à son bateau. Longeant la plage, il repère des bruits dans la forêt. Un des coureurs de demi-fond l'a précédé et va tenter de lui tendre une embuscade. Juste avant le cirque rocheux qui marque la pointe sud de l'île, un des cultistes masqués lui tombe dessus du haut d'un arbre, le poignard à la main. Dans l'empoignade à terre, Nelson parvient à lui tirer dans la jambe. A bout portant, le Desert Eagle explose le fémur et ampute salement la jambe du sectateur. L'agent Herving, guidé par un sursaut de pragmatisme, le laisse agoniser en lui prélevant son masque et son poignard. C'est une dague de cuivre couverte de glyphes sinueuses qui serpentent le long de la lame. Finalement, il regagne son zodiac, ses poursuivants semés, et parvient à regagner Creeptown après avoir ralentit son hémorragie par quelques premiers soins.
Putains de vacances...
A l'auberge, la logeuse l'envoie chez le médecin local, un vieux québecois français à la retraite, qui soigne l'impact de balle, mais baragouine l'anglais pour le menacer de le dénoncer à la police. Nelson lui montre l'insigne du FBI. Animé d'une haine de l'autorité fédérale, le médecin l'insulte copieusement, mais respecte son éthique et lui donne les recommandation d'usage. Nelson est hors de danger, et pourra garder l'usage son bras après quelques jours de repos, et de longue semaines de rééducation. Marcus l'appelle pour lui dire que certains membres de Delta Green ont "tiré des ficelles, qui en actionnent d'autres", afin que son superviseur au FBI lui accorde deux semaines de congés payés... Juste à temps pour guérir de ses blessures.
La traduction anglaise des tablettes sera-t-elle en mesure de livrer un rituel applicable? Le culte poursuivra-t-il Nelson? Qu'adviendra-t-il de la pauvre femme laissée à l'abandon aux mains de la secte? Réponse au prochain épisode.
Une séance solo, brève mais intense, dans laquelle Peter aura gagné pas mal d'éléments et d'expérience sur cette mission annexe. C'est aussi le témoignage que Delta Green ne vous laisse pas tomber, et mobilise pleinement ses ressources pour la mission de la cellule P.
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