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I am not Madame Bovary: Ce film chinois dramatique est à prendre avec des pincettes (et pas avec des baguettes, pas vrai Grome?) D'abord à cause de l'éloignement culturel, Madame Bovary n'apparait dans le titre que pour séduire l'abonné Télérama, l'héroïne n'a rien à voir de près ou de loin avec le personnage de Flaubert. Le titre original est Wo bu shi Pan Jin Lian (je ne suis pas Pan Jin Lian). Car Pan Jin Lian est l'héroïne d'une légende antique sur l'infidélité: elle a trompé son mari et prémédité son meurtre, avec la complicité de son amant. Puis son beau-frère s'est rendu compte du crime et l'a tuée, avec son amant, pour venger son frère. Apparemment, le nom de Pan Jin Lian est passé dans le langage courant: c'est une insulte, et une femme comparée à cette infidèle légendaire prend immédiatement la réputation d'une femme facile et malhonnête (bref: une salope).
Deuxième raison pour laquelle il faut prendre ce film avec des baguettes:
il respire la propagande chinoise! Expliquons rapidement l'intrigue...
Synopsis: Une femme ordinaire porte plainte contre son ex-mari, qui s'est remarié après leur divorce. Selon elle, leur divorce était un faux, un arrangement pour récupérer un appartement supplémentaire avec les aides gouvernementales: ils auraient du se remarier tout de suite après. Mais son ex-mari a trouvé une maîtresse, l'a installée dans le nouvel appartement et refuse d'admettre que son divorce était une escroquerie. Lorsqu'elle essaye de s'expliquer avec son ex-mari, il la traite de Pan Jin Lian devant ses collègues, et cette insulte ternit sa réputation définitivement.
Pour protester contre cette situation, qu'elle appelle une injustice (mais c'est elle qui fraudait au début): elle va protester auprès de tous les fonctionnaires impliqués, mais on se débarrasse d'elle, jusqu'à la mettre en prison. Une fois libérée, elle va jusqu'à Beijing, protester pendant la réunion annuelle du Parti (vous savez bien, le seul parti pour lequel vous avez vraiment le droit de voter en Chine). Elle arrête la voiture d'un officiel très haut gradé, qui écoute son histoire. En conséquence, il va raconter l'anecdote pendant le congrès annuel, en faire une parabole sur les fonctionnaires corrompus qui négligent le peuple, puis faire licencier toute la chaîne hiérarchique qui a ignoré cette divorcée: juge, président de cour de justice... jusqu'au préfet de région (une "région" administrative presque aussi peuplée que la France, avec 50 millions d'habitants).
Pour éviter que cela se reproduise, le nouveau préfet de région fait en sorte que cette femme soit maintenue dans une liberté et un silence relatifs... Elle renouvèle une plainte tous les ans, pour qu'on requalifie son divorce, mais le parquet étouffe ses plaintes. On s'assure qu'elle ne remonte pas à Beijing pendant le congrès du Parti... Bref, on étouffe l'affaire sans la gérer, pendant dix ans. Jusqu'au jour où, le congrès approchant, elle ne renouvelle pas sa plainte au commissariat local. Tous les fonctionnaires concernés s'affolent et la font suivre, de peut de perdre leur place si elle va à nouveau déranger le congrès annuel...
La
conclusion du film est dramatique, mais elle vient préparer un contenu très
idéologique...
[Spoiler] En réalité, elle s'est battu pendant dix ans pour autre chose que l'appartement. D'une part son mari profitait de l'occasion pour la quitter et refaire sa vie. Mais l'attribution d'un deuxième appartement était un prétexte: elle était enceinte d'un second enfant pendant la période de l'enfant unique. Elle a donc préparé ce divorce pour ne pas être hors-la-loi... Et s'est fait trahir par son mari. Dans la détresse, elle a fait une fausse-couche: elle se battait pour la mémoire de son enfant mort-né.
[/Spoiler]
Êtes-vous prêt pour l'épisode propagandiste? Le film prétend que cette anecdote est tirée d'une histoire vraie, qui aurait poussé le système chinois à réformer la justice. C'est en tout cas ce que dit le carton de fin. Mais la manière de le présenter met toujours le gouvernement chinois dans une bonne posture. Cette femme est en tort, du début à la fin: elle a voulu frauder et se prétend victime d'injustice pour les mauvaises raisons. Mais le gouvernement prend tout de même le temps d'écouter sa plainte en mettant de côté sa douleur. Et, scène finale: l'officiel chinois, qui avait licencié tout le monde dix ans plus tôt, fait une leçon de morale au nouveau préfet. Le gouvernement a négligé le peuple et c'est une erreur, qu'il faut réparer. Il demande même au préfet de ne pas lui répondre tout de suite, et lui donne sa journée de congé pour réfléchir au sujet. Le préfet s'en va, pensif, et l'officiel tourne le dos à la caméra pour méditer sur le soleil couchant...
Bref: C'est un film qui prétend montrer l'injustice pour la dissimuler. Qui prétend montrer les travers de la société chinoise pour mieux promouvoir la prétendue sagesse des hauts dirigeants qui discernent les dysfonctionnements des petits fonctionnaires pour les corriger d'un air philosophe... C'est en ce sens que le film, malgré ses qualités artistiques (notamment une mise en scène élégante et le choix très original de cadrer presque tous les plans dans un cercle, comme si on regardait l'histoire à travers un oeil-de-boeuf), est proprement
propagandiste.
Imaginez la réciproque en France... Un film suit l'histoire personnelle d'un personnage un peu minable (au hasard, appelons-le Jean-Pierre), fraudeur du RSA, qui réclame justice parce qu'il est à la rue après son contrôle fiscal. Après dix ans de protestations, de retournements et de péripéties, la presse et le gouvernement se sont suffisamment intéressés à lui pour que plusieurs fonctionnaires perdent leur poste. Et en conclusion de l'histoire: Emmanuel Macron sermonne son ministre des Finances, prétendant que l'intérêt du peuple a été négligé dans cette triste affaire, et termine dos à la caméra pendant que le ministre s'en va penaud, subjugué par cette "pensée complexe" du Président... Fondu au noir sur le bureau de l'Elysée, un buste de Mariane bien visible dans le décors, puis un texte apparait, expliquant qu'à la suite de cette affaire, la politique fiscale du gouvernement a été revue de fond en comble... Et hop, générique!
Avouez qu'on se sentirait mal...
Sans-pitié: Un excellent polar néonoir. Vu avec un Gus surchauffé dans une salle sans clim en pleine canicule, ce film est glaçant! C'est d'une esthétique irréprochable, chaque plan est étudié, les dialogues sont ciselés, les acteurs sont justes et l'intrigue enchaîne les flashbacks dans un rythme qui ne perd jamais, mais reste sur le fil de la compréhension. Le couple de vieux cons à côté de nous n'arrivait pas à faire la différence entre deux Coréens et se perdait dans l'intrigue, la femme devait rappeler à son mari qui étaient les personnages presque à chaque scène...
Et pourtant: c'est époustouflant. C'est à la fois un excellent film d'auteur dramatique, social et esthétique, mais c'est aussi un film de divertissement rythmé, drôle et plein d'action. Bref, dans le genre: c'est le haut du panier, un film appelé à devenir un classique. Allez le voir absolument, trouvez-le en DVD, démerdez-vous, mais il
FAUT voir ce film. Surtout si vous aimez le cinéma asiatique... Ou le cinéma d'action... Ou le polar... Ou le cinéma tout court!
The Circle: Ce film a eu le yeux plus gros que le ventre! Il prétend montrer les dérives et les dangers des géants d'internet avec Emma Watson en employée modèle et Tom Hanks en gros patron, aussi présentable que Bill Gates, aussi bon communicant et acteur que Steve Jobs, mais aussi décontracté que Mark Zückerberg. Et en effet, dans le film, la firme The Circle est à la fois un immense réseau social qui recouperait à la fois Facebook, Instagram et Skype, mais c'est aussi un fabriquant et vendeur de supports informatiques comme Apple, et ils sont en procès pour abus de position dominante comme Google actuellement.
Le film semble donc toucher sa cible. Sauf que non, pour deux raisons:
1) Le film s'arrête dès qu'il devrait rentrer dans les détails. Au final, on voit bien les dérives spectaculaires, mais on n'explique jamais la financiarisation des données ou le Big Data, comme si le public connaissait déjà ces problèmes... Ou qu'on n'avait pas le temps de lui expliquer. Un film de vulgarisation politique qui part du principe que le public connait déjà ou ne peut pas comprendre, du coup on n'en parlera pas, ça me gêne.
2) Le dénouement de ce film est une escroquerie. A la fin, après deux heures de montée en tension, le dénouement et la nouvelle situation sont réglés en cinq minutes (chronomètre en main, ce n'est pas une exagération). Donc, vous finissez le film avec plus de questions que de réponses. Qu'est-il arrivé au grand patron? Quelle est précisément cette nouvelle situation des médias? A-t-on aboli la frontière entre vie privée et vie publique comme nous le proposait le personnage principal? La firme
The Circle est-elle toujours dominante ou s'est-elle effondrée financièrement? Qu'est devenu son procès pour abus de monopole? Comme nous l'a appris la série
Lost, il y a des fois où les scénaristes demandent gentiment aux spectateurs d'aller se faire foutre. Ce film tombe dans cette triste catégorie. Pour faire court: une escroquerie narrative, mais avec le joli minois d'Emma Watson pour que vous n'ayez pas l'impression d'avoir payé une place pour rien.
Le dernier Vice-Roi des Indes: (traduction mensongère: le titre original est
Viceroy's house, car le palais est un personnage à part entière). Un film historique réalisé par une Indienne, descendante improbable d'un couple qui s'est retrouvé dans un camp de réfugié après la partition de l'Inde et du Pakistan.
Ce film fait le retour sur cette période historique de l'indépendance. On voit défiler les personnages historique connus: Gandhi (qu'on ne présente plus), Nerhu (futur président Indien) et Jinnah (président de la Ligue Musulmane qui réclame la création du Pakistan).
Le retour historique est bon: il n'épargne pas vraiment le gouvernement Anglais, dont les plans pragmatiques et cyniques sont dévoilés, ni les tensions internes du pays entre hindous et musulmans, ni les violences de la guerre civile.
Mais 1) malgré tout, ce dernier Vice-roi britannique est un héros vertueux, c'est un vrai héros qui représente la bonté du monde, son palais représente l'harmonie et l'ouverture, il concentre tous les aspects positifs de la culture anglaise... 2) Le film sent l'amateurisme. Techniquement, le grain de la pellicule est visible (et oui, ça n'a pas été tourné en numérique et ça se voit à chaque seconde). Ensuite, je ne sais pas quel objectif est utilisé, mais le but est de faire le point sur un seul plan de l'image, en laissant toujours le premier et l'arrière-plan dans le flou... Ce qui ne réussit pas parfaitement: certains plans ont un point mal fait, avec le plan principal légèrement flouté (une erreur difficilement acceptable). Ensuite, les conventions de raccord champ / contre-champ ne sont pas respectées (règle des 180°, pour les spécialistes qui suivent les chroniques de Karim Debbache comme moi), et putain, qu'est-ce que ça fait moche! Ca heurte le spectateur! Et certains mouvements de caméra n'ont pas de sens, des traveling qui ne servent à rien, des zoom nerveux et inutiles... La caméra n'est à l'aise que dans le mouvement des personnages indiens, quand il faut voir leur vie quotidienne. Dès qu'il s'agit de filmer les négociations dans une pièce close, les dialogues sont faux, les acteurs figés, et les caméra se ballade comme si le cadreur avait pris sa pause café... Bref, ce n'est pas le premier film de la réalisatrice, mais pourtant, le résultat est amateur. On ne fait plus de cinéma comme ça depuis trente ans, et c'est extrêmement dommage que ces maladresses interviennent dans un film aussi personnel, dont le sujet est aussi touchant.
Sinon, j'ai vu un petit film d'auteur français qui a vaguement fait parler de lui...
Valérian et la Cité des Mille Planètes: Vu ce matin aux aurores (9h20) à l'UGC des Halles... En présence de Luc Besson! Parce qu'il vient faire un tour de la première française dans ce cinoche à chaque fois qu'il présente un film, le bougre! Disons-le franchement: c'est pas bien génial. Alors oui, on s'en prend plein la gueule pour les effets spéciaux, mais ça laisse à désirer dans la narration. Le rythme a un problème, on perd le fil trop facilement, c'est long (le film fait deux heures, mais en fait facilement trois et demi en ressenti).
Bref, si vous avez un coup de nostalgie, que vous avez envie de voir des trucs qui vous rappelleront un peu le
Cinquième Elément, ce film peut vous intéresser. Si vous avez envie de voir un bon film, par contre... Bah allez voir autre chose, je suis désolé... J'aimerais défendre ce film, j'aimerais vraiment! Parce qu'il est original, que les graphismes sont vraiment cools, qu'il adapte une BD française, que les situations sont bien sympathiques... Mais non, il y a trop de défauts visibles qui gâchent le truc. L'intrigue est éparpillée, le rythme saccadé, et Cara Delevigne, aussi sexy soit-elle, joue de manière figée.
On va retenir les moments de bravoure, parce qu'il y en a, et pas qu'un. Déjà, la scène d'introduction est extrêmement bien pensée et raconte la construction de la Cité des Mille Planètes par l'agglomération des modules et des gestes diplomatiques autour de l'ISS, sur Space Odity de david Bowie. Ensuite, le ministre de la défense de l'Union Humaine est joué par Herbie Hancock! C'est-à-dire que l'inventeur de la Funk, l'un des plus grands pianistes de jazz encore vivants, et qui n'est pas acteur du tout, a un rôle très sérieux dans un film de space opéra... Au moins, Besson sait se faire plaisir!* Ensuite, les effets spéciaux sont quand même classes. On peut critiquer, on peut trouver ça kitsh, ce n'est pas par amateurisme ou incompétence: c'est kitsh parce que c'est la pâte de Luc Besson, il n'est pas là pour prendre le space opéra au sérieux.
Au final, le moment le plus sympa de la séance était clairement le moment où Luc Besson racontait des anecdotes de tournage et répondait au public... Juste avant le projection, donc.
Désolé Luc, ça ne marche pas...
*Monsieur Besson nous a expliqué qu'il était fan de Herbie Hancock depuis qu'il a 14 ans... Et que lorsque le jazzman lui disait "je ne sais pas jouer!", il répondait: "Et bien, ne joue pas! Imagine, tu es ministre de la défense, le poste t'es tombé dessus..." C'est un peu couillon, dit comme ça, mais force est de constater: ça marche, Hancock ne joue pas faux. Il est même plus juste que certains acteurs professionnels...