RATUNO (jdra de Chanba-Rat !)
Posté : 06 mars 2014, 18:05
Peu le savent, mais en parallèle de L'Horlogerie des Rats, je bossais à l'époque sur un autre projet de jdr animalier, RATUNO, un vibrant hommage au dessin animé SAMURAI PIZZA CATS (et un pied de nez au passage à Naruto, dont je n'avais rien de spécial contre, mais bon, c'était histoire de ! ^^)
Je n'ai jamais passé le stade de brouillon pour ce jeu, mais j'avais tout de même écrit vite-fait une nouvelle d'intro... Je vous en fait part, au cas où ça pourrait amuser quelqu'un !
Et puis qui sait, peut-être que je m'y remettrais un de ces quat' (j'ai quelques petites idées nouvelles !)
LA LEGENDE DE JO
Après lui avoir jeté un ultime coup d’œil, Abûsake rangea dans sa ceinture le précieux rouleau. Il s’agissait d’une illustration grossière sur le thème de la légende de Jo, mais c’était tout ce qu’il possédait comme documentation sur le sujet. Aussi, même une fois rangé, il continuait de passer sa main dessus, comme pour continuer de s’imprégner du savoir qu’il recelait.
Le vieux rat était, depuis bientôt trois ans déjà, le précepteur du jeune Tekase. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fils aîné du grand Ratuno était une vraie peste qui lui en avait fait voir de toute les couleurs ! En acceptant de travailler pour le plus redouté des clans ninja, Abûsake avait imaginé qu’il ne connaîtrait plus le chahut et les effronteries auxquels il avait été tant de fois confronté dans sa carrière de professeur… Tu parles ! Les souriceaux ninjas étaient comme tous les autres, de petits monstres méprisants et ingrats dont le seul attrait pour l’instruction semblait venir du fait qu’ils pouvaient y tourner en dérision leur enseignant ! Et à ce petit jeu là, Tekase était particulièrement redoutable, car en plus d’être pénible, il était intelligent…
Ratuno avait bien insisté pour qu’aujourd’hui, le vieux précepteurs enseigne à son fils la légende de Jo… et quand Ratuno souhaitait quelque chose, mieux valait ne pas le contrarier. Aussi, Abûsake se garda bien de lui dire qu’il ne connaissait quasiment rien à cette légende. Il pensait pouvoir se renseigner discrètement au sujet de ce mythe qui le mettait en fâcheuse posture, mais malheureusement pour lui, il n’en fut rien. Personne ne semblait véritablement connaître cette fichue histoire ! Abûsake s’en était longuement lamenté avant de réaliser qu’il s’agissait pour lui d’une véritable aubaine. En effet, cela signifiait qu’il pouvait inventer n’importe quoi en toute impunité ! Personne ne serait en mesure de contredire sa version, puisque personne ne connaissait vraiment cette légende !
Tout ce qu’il fallait, c’était qu’il paraisse suffisamment sûr de lui pour que Tekase ne se rende jamais compte de la supercherie. Ce serait dur, mais c’était tout à fait faisable… Après tout, Tekase n’était qu’un mioche, non ? !
_Bonjour, maître Abûsake.
La voix du jeune Tekase avait fait sursauté son précepteur qui, perdu dans se songes, n’avait pas vu approcher son élève.
_Bonjour, jeune Tekase. Asseyez-vous je vous prie.
Le souriceau s’éxecuta aussitôt, s’asseyant en tailleurs sur le tatami prévu à cet effet.
_Avez-vous déjà entendu parler de la légende de Jo ?
_Oui maître… Comme tout un chacun. Mais je ne serai pas en mesure de vous la conter tant mes connaissances à ce sujet sont imprécises.
_OUI ! ! !
Tekase répondit à l’exultation de son précepteur par un haussement de sourcil qui semblait vouloir dire « T’es taré ou quoi ? ! »
Celui-ci, réalisant son manque de discrétion face à cette excellente nouvelle, se hâta de réagir.
_Oui, c’est bien ce qu’il me semblait en effet. Dans ce cas, il est grand temps que je vous l’enseigne… à moins que cela ne vous ennui ?
_Non maître, au contraire, j’ai grandement envie d’en apprendre d’avantage.
Abûsake jubilait intérieurement. Tout se passait exactement comme il l’avait prévu.
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_ La légende dit que des centaines de centaines d’années avant notre époque, un grand démon vivait sur terre, un démon si terrible que le simple fait de prononcer son nom suffisait à semer la peur et le désespoir…
_Et quel était ce nom ?
Saleté de môme ! Abûsake venait à peine de commencer que déjà il essayait de le déstabiliser ! Mais cette fois si, le vieux précepteur était bien décidé à tenir tête à son élève.
_Son nom, jeune Tekase, a disparu avec lui. Et nous devons nous réjouir que ni dans nos pensées, ni dans nos songes, ne figure la moindre trace de ce démon terrifiant… Le néant est plus absolu que l’oubli, jeune Tekase, car n’est pas mort ce qui a jamais dort…
Et paf, dans les dents ! Tekase n’avait pas encore tout à fait saisi le sens de cette dernière phrase que Abûsake avait déjà repris le fil de son histoire.
_Ce démon donc, régnait alors en maître sur l’ensemble des créatures vivantes. Les hommes dotés de conscience, les animaux privés d’esprit mais aussi les poissons aux yeux morts lui vouaient un respect total, un respect fondé sur la peur…
_Maître, je crois que vous avez fait une erreur… Vous avez dis « les hommes dotés de conscience, et les animaux privés d’esprit »… Mais c’est l’inverse ! En effet, ce sont nous, les animaux, qui sommes doté d’intelligence, de parole, tandis que ce sont les hommes qui errent stupidement, sans autre but apparent que celui de se baver dessus !
Tekase avait dit ceci avec une pointe d’acidité subtile mais indéniable, un ton insolent qui signifiait clairement « Alors vieux fou, tu t’emmêles le pinceaux ? ! »… Abûsake se devait de réagir, et vite, s’il ne voulait pas que toute sa crédibilité tombe à l’eau.
_Aujourd’hui, oui, en effet, votre remarque est juste… Mais en ces temps, rien n’était semblable, et c’est d’ailleurs en ça que La légende de Jo a des enseignements à nous porter…
L’air dubitatif, Tekase fixait son précepteur. De toute évidence, il ne se contenterait pas d’une réponse aussi évasive. Abûsake fut donc bien obligé d’improviser.
_En cette triste époque, les animaux n’avait pas encore la conscience… Car elle était enfouie dans le corps des hommes. En ces temps, c’étaient les hommes qui parlaient et pensaient, et nous qui vagabondions la tête vide… C’était une bien triste époque.
_Et les poissons ?…
_Et les poissons n’ont pas changés !
Abûsake était sur les nerfs… Tout allait de travers à présent. Il avait sur les bras un mensonge qui devenait bien trop lourd pour ces vieilles épaules, mais il ne pouvait plus reculer.
_Tout ce que nous faisons, tout ce qui fait notre culture, était fait par les hommes. Bien sûr, ils n’avaient pas notre raffinement, ni notre élégance, mais l’intelligence était leur.
Cependant, ils étaient très laids…
_Ils le sont toujours !
_Oui, certes, ils le sont toujours, mais… Mais cette laideur à son importance, car c’est elle qui fit courir l’humanité à sa perte.
Abûsake risqua un coup d’œil en direction de Tekase ; celui-ci semblait totalement perdu dans ses pensées. Peut-être que finalement, les choses ne se passaient pas si mal que ça.
_En effet, les hommes étaient si affreusement moche que le démon lui-même fini par se lasser de leur vision, et décida de s’en débarrasser… en les mangeant !
_En les mangeant ? !
_Oui, en les mangeant ! Avez-vous déjà oublié qu’il s’agissait d’un démon, jeune Tekase ? !
Cela n’expliquait rien du tout, mais le temps que Tekase s’en aperçoive, Abûsake avait repris depuis bien longtemps déjà.
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_Le démon dont je vous parle était doté de deux terribles pouvoirs. Le premier de ces pouvoirs était justement cette monstrueuse capacité de pouvoir manger sans cesse : sa bouche gigantesque était comme un sac sans fond, alors il dévorait et dévorait sans interruption. Jamais rassasié, il gobait tout ce que ses serviteurs lui apportaient. Mais un jour, ce sont les serviteurs eux-mêmes qu’il se mit à gober. Lassé de leurs pathétiques courbettes, agacé par leur laideur repoussante, le démon les fit ainsi disparaître.
Tekase semblait peu convaincu, d’ailleurs Abûsake ne l’était guère plus. Il lui fallait absolument trouver une meilleure explication… mais laquelle ?
_ Parce qu’il faut savoir que ce démon était doté d’un incommensurable goût pour la beauté, et la vue de la moindre laideur lui donnait des maux d’estomac… Vu l’ampleur du sien, vous imaginez aisément le calvaire que cela dût être pour lui de supporter tout ce temps la vue des hommes !
C’était n’importe quoi ! Abûsake racontait n’importe quoi et il le savait pertinemment. Pourtant, il insistait. Quel autre choix avait-il de toute façon ?
_Ainsi, lassé de vomir sans cesse, le démon fit disparaître les hommes dans son ventre.
_Tous les hommes ? Aucun n’a cherché à se cacher de lui ?
_Euh… Et bien… Si, si bien sûr. Mais il était impossible d’échapper aux yeux du démon.
-Vraiment ? Mais pourquoi ?
« Si seulement je le savais ! » pensa alors Abûsake pour lui-même, mais très vite lui vint une nouvelle idée.
_Et bien à cause du second pouvoir du démon : les milles yeux volants !
_Comment ? !
_Le corps du démon ne possédait pas d’yeux, pourtant, il voyait mieux que quiconque grâce à ces milles yeux volants. Ceux-ci sillonnaient sans discontinuité les terres et les mers, rapportant à l’esprit de leur propriétaire tout ce qui s’offrait à leur vue. Les milles yeux étaient des traqueurs impossibles à semer, et si certains parvinrent à se cacher, tous les hommes finirent par être débusqués.
_Oui, mais ensuite ?…
_Et bien quoi, ensuite ? !
_Je veux dire, même si les yeux du démon trouvaient les hommes, que risquaient donc ces derniers ? Les yeux n’ont pas de bras pour frapper, ni de crocs pour mordre, me semble-t-il, aussi, qu’avait-il à craindre d’être découvert ?
_Je… je reconnais bien là toute la subtilité de votre clan, jeune Tekase, et c’est une excellente remarque que vous faîtes là. Mais repensez à tout ce que je vous ai appris et dîtes-moi, selon vous, ce qu’ils pouvaient craindre.
Bon, ce n’était pas très glorieux de la part d’Abûsake d’agir de la sorte, mais au moins, cela lui permettait de gagner quelques instants.
_Et bien, peut-être que les yeux lançaient des éclairs, ou bien peut-être qu’ils transformaient en statue de pierre… Mais je ne sais pas maître.
Abûsake trouva l’idée des statues de pierre franchement bonne, mais il se refusait à donner raison à son élève, aussi privilégia-t-il l’explication suivante.
_Pas du tout, les yeux volent les âmes de ceux qui croisent leur regard, et celles-ci se retrouvent prisonnières du gros ventre du démon. Mais les yeux ne prennent pas toute l’âme, non, ils laissent en leur victime une infime étincelle de conscience, une minuscule lueur de vie. Et l’individu n’a alors plus qu’un seul but, partir à la recherche du reste de son âme. Ainsi, un par un, les hommes finirent par se livrer d’eux mêmes à la bouche du démon, cherchant en son ventre à retrouver leur humanité.
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Abûsake était particulièrement fier de cette dernière trouvaille, aussi fut il dépité de lire la déception sur le visage de Tekase.
_Et bien quoi Tekase, que se passe t-il ?
_Oh, rien… C’est juste que… L’histoire n’est pas fini n’est-ce pas ?
_Et bien, euh… non, non, bien entendu !
_Ah, je me disais bien qu’une histoire ne pouvait pas s’achever de la sorte !
Abûsake hocha la tête comme pour dire « Bien entendu ! », mais au fond de lui il pensait « Et pourquoi pas, sal morveux ? ! ».
Voyant que son précepteur mettait du temps à reprendre le cours de sa narration, Tekase risqua une question.
_Maître, et qu’en est-il des animaux ?
_Comment ?
_Qu’en est-il des animaux ?… Vous avez dit qu’en ce temps là, les animaux n’avaient pas de conscience, mais alors, comment leur est-elle venue ?
_Euh… et bien… C’est délicat, voyez-vous, et je ne sais pas si vous êtes prêt à l’apprendre… C’est peut-être un peu prématuré.
Abûsake était totalement en panne d’idée, et il avait donc dû faire recours à une ruse vieille comme le monde, une ruse que tous les rats adultes finissaient tôt ou tard par employer avec leur souriceaux pour esquiver une question délicate, le fameux « T’es trop petit, tu peux pas comprendre ! »… Simple, mais efficace !
_Je vous en prie maître Abûsake, poursuivez ! Je suis certain que mon fils aurait beaucoup à apprendre de la fin de cette légende.
Le rat qui avait prononcé ces mots n’était autre que Ratuno, le seigneur et maître du clan Ratuno. Surgit de nulle part, il s’avançait à présent d’un pas altier, vêtu d’un simple kimono au couleur du clan, violet et noir.
A sa vue, Abûsake eut le souffle coupé, et une angoissante question submergea son esprit : depuis combien de temps Ratuno les écoutait-il ?
_Salut à vous, oh grand Ratuno ! Que nous vaut l’honneur de votre présence en mon humble enseignement ?
_Je suis venu m’assurer que tu enseignais la légende de Jo à mon fils.
_AH ! Oh ! Euh… Je veux dire, oui, c’est normal !
Abûsake était tétanisé, il n’avait qu’une envie, trouver un trou et s’y enfouir !
_Tu sais Abûsake, je t’écoute depuis le début…
_AH !… Ah, vraiment ?
_Oui, et je trouve ta façon de raconter les choses, comment dirais-je, forte intéressante.
_Euh… Euh… Vous trouvez ?
_Oui, je trouve ! Et c’est pourquoi j’ai hâte de t’entendre conter la fin de cette histoire.
Ratuno avait parler de ce ton faussement aimable qu’emploient les gens importants pour exiger ce qu’ils veulent à leur subordonnés. Abûsake n’avait plus le choix, il devait s’exécuter.
_Très bien… Donc… Où en étais-je ?
_Vous alliez expliquer à mon fils comment nous autres animaux avons acquis la conscience.
_Ah oui, c’est vrai… Cependant, vous n’ignorez pas que cela peut être choquant pour un enfant de son âge : voulez vous vraiment que je le lui enseigne dés à présent ?
_Oui, je le veux.
Ratuno commençait à perdre patience, ce qui ajouta encore à la détresse d’ Abûsake. De toute évidence, Ratuno s’était rendu compte que le vieux précepteur racontait des boniments à son fils, et maintenant, le maître ninja se vengeait en le forçant à poursuivre cette grotesque mascarade en sa présence.
A bout de nerf, Abûsake était sur le point de se jeter à genoux pour implorer son pardon lorsque Tekase prit la parole pour la première fois depuis que son père était arrivé.
_Père, connaissez-vous la légende de Jo ?
_Non mon fils… D’ailleurs, avant que maître Abûsake ne me dise qu’il était en mesure de te l’enseigner, je pensais que cette histoire avait été oubliée de tous. Et c’est pour profiter de sa connaissance que moi aussi, je suis ici aujourd’hui !
Etait-ce possible ? ! Abûsake n’arrivait pas y croire. Ainsi donc, Ratuno lui-même ne connaissait pas ce mythe. Cette nouvelle inespérée allégea tant l’esprit du vieux précepteur que bien vite de nouvelles idées pour son histoire ne tardèrent pas à affluer.
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_Je disais donc que tous les hommes avaient fini par être dévorés par l’infâme démon, et que leurs âmes étaient prisonnières de son énorme panse.
Mais ayant mangé les hommes, le démon n’avait plus de serviteur pour lui apporter de quoi contenter son appétit, et ses yeux, qui lui avaient permis de chasser les humains avec tant de faciliter, étaient inefficaces contre les animaux, car ceux-ci n’avaient alors pas de conscience…
Un démon ne peut mourir, mais, privé de nourriture, il finit par s’assécher au point d’être réduit à l’état de statue d’argile. Trop faible pour se maintenir debout, il chuta et se brisa en sept cent soixante-dix sept morceaux si légers que le vent les emporta à sa guise, au quatre coin du monde.
Quand aux âmes, elles furent libérées, et trouvèrent refuge dans le corps des animaux.
Et c’est ainsi, que les animaux s’éveillèrent.
Abûsake arborait à présent le petit air hautain des orateurs qui sont convaincus d’avoir conquis leur auditoire. Il était tout particulièrement fier du coup des sept cent soixante-dix sept morceaux, car ce chiffre faisait clairement référence aux sept cent soixante-dix sept fragments sacrés détenus par l’Empire Chat des Minu-Minu, reliques que les ninjas Ratuno s’efforçaient depuis longtemps déjà de dérober, mais simplement pour le plaisirs d’embêter un peu !
Pourtant, aussi bien Ratuno que son fils semblaient songeurs. C’est Tesake qui le premier prit la parole.
_Maître, mais qu’en est-il des humains ? Vous dîtes qu’ils ont tous été dévorés… Pourtant, il existe toujours des humains. D’où viennent-ils alors ?
_Flûte ! Je les avaient complètement oubliés ceux-là !
_Que dîtes-vous, maître ?
_Euh, rien, euh… C’est juste que j’ai oublié de vous dire que certains humains avaient été gobés tout rond, aussi, lorsque le démon se brisa, ils étaient encore en vie et furent libérés. Ce sont d’eux que descendent tous les humains.
Tekase semblait plus ou moins satisfait de cette réponse, mais Ratuno, pour sa part, affichait une mine de plus en plus perplexe.
_Je ne comprends pas bien… Si des humains vivaient encore, pourquoi les âmes ne sont pas retournées en eux ?
_Parce que… euh… Si vous étiez une âme, et que vous auriez à choisir entre le hommes, et les animaux…
_Et les poissons.
_Euh, oui vous avez raison jeune Tekase, il y a aussi les poissons… Enfin donc, entre l’animalité, l’humanité et la… « poissonnalité », qu’auriez vous choisi, noble Ratuno ?
_Et bien l’animalité, bien sûr !
_Exactement ! Et les âmes en firent autant ! C’est pour ça que dés qu’elles en ont eu l’occasion, elles ont changées de propriétaire !
Intérieurement, Abûsake poussa un grand « ouf ! » de soulagement lorsqu’il vit les sourcils du grand Ratuno reprendre leur inclinaison normal… Mais c’était sans compter sur la peste qui lui tenait lieu de fils !
_Maître, j’ai une dernière question : vous dîtes qu’un démon ne peut pas mourir, pourtant celui de votre légende est dispersé en sept cent soixante dix-sept morceaux… ça doit faire terriblement mal, non ?
_Oui, oui, ça fait mal ! Mais pour un démon ce n’est pas fatal ! D’ailleurs, il suffirait de reconstituer les morceaux, de jeter un peu de sang dessus, et « hop », le démon reprendrait forme et pourrait à nouveau replonger le monde dans sa chaotique tyrannie !
_En êtes vous sûr ?
Ratuno, les yeux brillant d’une étrange lueur, venait de poser cette question comme si sa vie dépendait de la réponse. Aussi, Abûsake soigna ses mots.
-Parfaitement ! Je le tiens de mon père, qui lui même le tiens de son père, qui l’avait appris de la bouche de son père, qui ,lui, en avait pris connaissance par l’intermédiaire d’un type qu’il a rencontré dans une taverne et qui avait la particularité de voir le passé dans le sake… Et dans un grand bol, il a vu tout ce que je viens de vous dire !
Impressionné, Ratuno hocha la tête d’un air satisfait.
_Et bien dans ce cas, voici une tâche à laquelle notre clan doit s’atteler.
_Quelle tâche, père ?
_Nos ninjas doivent retrouver les sept cent soixante-dix sept fragments pour que nous puissions nous livrer au rituel qui fera revenir dans notre monde ce tout puissant démon !
_Mais pourquoi cela, père ?
_Parce que nous sommes les méchants, fils !
Et sur ce, le grand Ratuno, d’un pas majestueux, s’en fut, suivit de près par un Abûsake tout de même un peu inquiet de la tournure des choses. Quand à Tekase, il resta seul, si bien que personne ne l’entendit chuchoter cette ultime interrogation.
_Mais pourquoi ça s’appelle la Légende de Jo ?!
Je n'ai jamais passé le stade de brouillon pour ce jeu, mais j'avais tout de même écrit vite-fait une nouvelle d'intro... Je vous en fait part, au cas où ça pourrait amuser quelqu'un !
Et puis qui sait, peut-être que je m'y remettrais un de ces quat' (j'ai quelques petites idées nouvelles !)
LA LEGENDE DE JO
Après lui avoir jeté un ultime coup d’œil, Abûsake rangea dans sa ceinture le précieux rouleau. Il s’agissait d’une illustration grossière sur le thème de la légende de Jo, mais c’était tout ce qu’il possédait comme documentation sur le sujet. Aussi, même une fois rangé, il continuait de passer sa main dessus, comme pour continuer de s’imprégner du savoir qu’il recelait.
Le vieux rat était, depuis bientôt trois ans déjà, le précepteur du jeune Tekase. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fils aîné du grand Ratuno était une vraie peste qui lui en avait fait voir de toute les couleurs ! En acceptant de travailler pour le plus redouté des clans ninja, Abûsake avait imaginé qu’il ne connaîtrait plus le chahut et les effronteries auxquels il avait été tant de fois confronté dans sa carrière de professeur… Tu parles ! Les souriceaux ninjas étaient comme tous les autres, de petits monstres méprisants et ingrats dont le seul attrait pour l’instruction semblait venir du fait qu’ils pouvaient y tourner en dérision leur enseignant ! Et à ce petit jeu là, Tekase était particulièrement redoutable, car en plus d’être pénible, il était intelligent…
Ratuno avait bien insisté pour qu’aujourd’hui, le vieux précepteurs enseigne à son fils la légende de Jo… et quand Ratuno souhaitait quelque chose, mieux valait ne pas le contrarier. Aussi, Abûsake se garda bien de lui dire qu’il ne connaissait quasiment rien à cette légende. Il pensait pouvoir se renseigner discrètement au sujet de ce mythe qui le mettait en fâcheuse posture, mais malheureusement pour lui, il n’en fut rien. Personne ne semblait véritablement connaître cette fichue histoire ! Abûsake s’en était longuement lamenté avant de réaliser qu’il s’agissait pour lui d’une véritable aubaine. En effet, cela signifiait qu’il pouvait inventer n’importe quoi en toute impunité ! Personne ne serait en mesure de contredire sa version, puisque personne ne connaissait vraiment cette légende !
Tout ce qu’il fallait, c’était qu’il paraisse suffisamment sûr de lui pour que Tekase ne se rende jamais compte de la supercherie. Ce serait dur, mais c’était tout à fait faisable… Après tout, Tekase n’était qu’un mioche, non ? !
_Bonjour, maître Abûsake.
La voix du jeune Tekase avait fait sursauté son précepteur qui, perdu dans se songes, n’avait pas vu approcher son élève.
_Bonjour, jeune Tekase. Asseyez-vous je vous prie.
Le souriceau s’éxecuta aussitôt, s’asseyant en tailleurs sur le tatami prévu à cet effet.
_Avez-vous déjà entendu parler de la légende de Jo ?
_Oui maître… Comme tout un chacun. Mais je ne serai pas en mesure de vous la conter tant mes connaissances à ce sujet sont imprécises.
_OUI ! ! !
Tekase répondit à l’exultation de son précepteur par un haussement de sourcil qui semblait vouloir dire « T’es taré ou quoi ? ! »
Celui-ci, réalisant son manque de discrétion face à cette excellente nouvelle, se hâta de réagir.
_Oui, c’est bien ce qu’il me semblait en effet. Dans ce cas, il est grand temps que je vous l’enseigne… à moins que cela ne vous ennui ?
_Non maître, au contraire, j’ai grandement envie d’en apprendre d’avantage.
Abûsake jubilait intérieurement. Tout se passait exactement comme il l’avait prévu.
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_ La légende dit que des centaines de centaines d’années avant notre époque, un grand démon vivait sur terre, un démon si terrible que le simple fait de prononcer son nom suffisait à semer la peur et le désespoir…
_Et quel était ce nom ?
Saleté de môme ! Abûsake venait à peine de commencer que déjà il essayait de le déstabiliser ! Mais cette fois si, le vieux précepteur était bien décidé à tenir tête à son élève.
_Son nom, jeune Tekase, a disparu avec lui. Et nous devons nous réjouir que ni dans nos pensées, ni dans nos songes, ne figure la moindre trace de ce démon terrifiant… Le néant est plus absolu que l’oubli, jeune Tekase, car n’est pas mort ce qui a jamais dort…
Et paf, dans les dents ! Tekase n’avait pas encore tout à fait saisi le sens de cette dernière phrase que Abûsake avait déjà repris le fil de son histoire.
_Ce démon donc, régnait alors en maître sur l’ensemble des créatures vivantes. Les hommes dotés de conscience, les animaux privés d’esprit mais aussi les poissons aux yeux morts lui vouaient un respect total, un respect fondé sur la peur…
_Maître, je crois que vous avez fait une erreur… Vous avez dis « les hommes dotés de conscience, et les animaux privés d’esprit »… Mais c’est l’inverse ! En effet, ce sont nous, les animaux, qui sommes doté d’intelligence, de parole, tandis que ce sont les hommes qui errent stupidement, sans autre but apparent que celui de se baver dessus !
Tekase avait dit ceci avec une pointe d’acidité subtile mais indéniable, un ton insolent qui signifiait clairement « Alors vieux fou, tu t’emmêles le pinceaux ? ! »… Abûsake se devait de réagir, et vite, s’il ne voulait pas que toute sa crédibilité tombe à l’eau.
_Aujourd’hui, oui, en effet, votre remarque est juste… Mais en ces temps, rien n’était semblable, et c’est d’ailleurs en ça que La légende de Jo a des enseignements à nous porter…
L’air dubitatif, Tekase fixait son précepteur. De toute évidence, il ne se contenterait pas d’une réponse aussi évasive. Abûsake fut donc bien obligé d’improviser.
_En cette triste époque, les animaux n’avait pas encore la conscience… Car elle était enfouie dans le corps des hommes. En ces temps, c’étaient les hommes qui parlaient et pensaient, et nous qui vagabondions la tête vide… C’était une bien triste époque.
_Et les poissons ?…
_Et les poissons n’ont pas changés !
Abûsake était sur les nerfs… Tout allait de travers à présent. Il avait sur les bras un mensonge qui devenait bien trop lourd pour ces vieilles épaules, mais il ne pouvait plus reculer.
_Tout ce que nous faisons, tout ce qui fait notre culture, était fait par les hommes. Bien sûr, ils n’avaient pas notre raffinement, ni notre élégance, mais l’intelligence était leur.
Cependant, ils étaient très laids…
_Ils le sont toujours !
_Oui, certes, ils le sont toujours, mais… Mais cette laideur à son importance, car c’est elle qui fit courir l’humanité à sa perte.
Abûsake risqua un coup d’œil en direction de Tekase ; celui-ci semblait totalement perdu dans ses pensées. Peut-être que finalement, les choses ne se passaient pas si mal que ça.
_En effet, les hommes étaient si affreusement moche que le démon lui-même fini par se lasser de leur vision, et décida de s’en débarrasser… en les mangeant !
_En les mangeant ? !
_Oui, en les mangeant ! Avez-vous déjà oublié qu’il s’agissait d’un démon, jeune Tekase ? !
Cela n’expliquait rien du tout, mais le temps que Tekase s’en aperçoive, Abûsake avait repris depuis bien longtemps déjà.
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_Le démon dont je vous parle était doté de deux terribles pouvoirs. Le premier de ces pouvoirs était justement cette monstrueuse capacité de pouvoir manger sans cesse : sa bouche gigantesque était comme un sac sans fond, alors il dévorait et dévorait sans interruption. Jamais rassasié, il gobait tout ce que ses serviteurs lui apportaient. Mais un jour, ce sont les serviteurs eux-mêmes qu’il se mit à gober. Lassé de leurs pathétiques courbettes, agacé par leur laideur repoussante, le démon les fit ainsi disparaître.
Tekase semblait peu convaincu, d’ailleurs Abûsake ne l’était guère plus. Il lui fallait absolument trouver une meilleure explication… mais laquelle ?
_ Parce qu’il faut savoir que ce démon était doté d’un incommensurable goût pour la beauté, et la vue de la moindre laideur lui donnait des maux d’estomac… Vu l’ampleur du sien, vous imaginez aisément le calvaire que cela dût être pour lui de supporter tout ce temps la vue des hommes !
C’était n’importe quoi ! Abûsake racontait n’importe quoi et il le savait pertinemment. Pourtant, il insistait. Quel autre choix avait-il de toute façon ?
_Ainsi, lassé de vomir sans cesse, le démon fit disparaître les hommes dans son ventre.
_Tous les hommes ? Aucun n’a cherché à se cacher de lui ?
_Euh… Et bien… Si, si bien sûr. Mais il était impossible d’échapper aux yeux du démon.
-Vraiment ? Mais pourquoi ?
« Si seulement je le savais ! » pensa alors Abûsake pour lui-même, mais très vite lui vint une nouvelle idée.
_Et bien à cause du second pouvoir du démon : les milles yeux volants !
_Comment ? !
_Le corps du démon ne possédait pas d’yeux, pourtant, il voyait mieux que quiconque grâce à ces milles yeux volants. Ceux-ci sillonnaient sans discontinuité les terres et les mers, rapportant à l’esprit de leur propriétaire tout ce qui s’offrait à leur vue. Les milles yeux étaient des traqueurs impossibles à semer, et si certains parvinrent à se cacher, tous les hommes finirent par être débusqués.
_Oui, mais ensuite ?…
_Et bien quoi, ensuite ? !
_Je veux dire, même si les yeux du démon trouvaient les hommes, que risquaient donc ces derniers ? Les yeux n’ont pas de bras pour frapper, ni de crocs pour mordre, me semble-t-il, aussi, qu’avait-il à craindre d’être découvert ?
_Je… je reconnais bien là toute la subtilité de votre clan, jeune Tekase, et c’est une excellente remarque que vous faîtes là. Mais repensez à tout ce que je vous ai appris et dîtes-moi, selon vous, ce qu’ils pouvaient craindre.
Bon, ce n’était pas très glorieux de la part d’Abûsake d’agir de la sorte, mais au moins, cela lui permettait de gagner quelques instants.
_Et bien, peut-être que les yeux lançaient des éclairs, ou bien peut-être qu’ils transformaient en statue de pierre… Mais je ne sais pas maître.
Abûsake trouva l’idée des statues de pierre franchement bonne, mais il se refusait à donner raison à son élève, aussi privilégia-t-il l’explication suivante.
_Pas du tout, les yeux volent les âmes de ceux qui croisent leur regard, et celles-ci se retrouvent prisonnières du gros ventre du démon. Mais les yeux ne prennent pas toute l’âme, non, ils laissent en leur victime une infime étincelle de conscience, une minuscule lueur de vie. Et l’individu n’a alors plus qu’un seul but, partir à la recherche du reste de son âme. Ainsi, un par un, les hommes finirent par se livrer d’eux mêmes à la bouche du démon, cherchant en son ventre à retrouver leur humanité.
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Abûsake était particulièrement fier de cette dernière trouvaille, aussi fut il dépité de lire la déception sur le visage de Tekase.
_Et bien quoi Tekase, que se passe t-il ?
_Oh, rien… C’est juste que… L’histoire n’est pas fini n’est-ce pas ?
_Et bien, euh… non, non, bien entendu !
_Ah, je me disais bien qu’une histoire ne pouvait pas s’achever de la sorte !
Abûsake hocha la tête comme pour dire « Bien entendu ! », mais au fond de lui il pensait « Et pourquoi pas, sal morveux ? ! ».
Voyant que son précepteur mettait du temps à reprendre le cours de sa narration, Tekase risqua une question.
_Maître, et qu’en est-il des animaux ?
_Comment ?
_Qu’en est-il des animaux ?… Vous avez dit qu’en ce temps là, les animaux n’avaient pas de conscience, mais alors, comment leur est-elle venue ?
_Euh… et bien… C’est délicat, voyez-vous, et je ne sais pas si vous êtes prêt à l’apprendre… C’est peut-être un peu prématuré.
Abûsake était totalement en panne d’idée, et il avait donc dû faire recours à une ruse vieille comme le monde, une ruse que tous les rats adultes finissaient tôt ou tard par employer avec leur souriceaux pour esquiver une question délicate, le fameux « T’es trop petit, tu peux pas comprendre ! »… Simple, mais efficace !
_Je vous en prie maître Abûsake, poursuivez ! Je suis certain que mon fils aurait beaucoup à apprendre de la fin de cette légende.
Le rat qui avait prononcé ces mots n’était autre que Ratuno, le seigneur et maître du clan Ratuno. Surgit de nulle part, il s’avançait à présent d’un pas altier, vêtu d’un simple kimono au couleur du clan, violet et noir.
A sa vue, Abûsake eut le souffle coupé, et une angoissante question submergea son esprit : depuis combien de temps Ratuno les écoutait-il ?
_Salut à vous, oh grand Ratuno ! Que nous vaut l’honneur de votre présence en mon humble enseignement ?
_Je suis venu m’assurer que tu enseignais la légende de Jo à mon fils.
_AH ! Oh ! Euh… Je veux dire, oui, c’est normal !
Abûsake était tétanisé, il n’avait qu’une envie, trouver un trou et s’y enfouir !
_Tu sais Abûsake, je t’écoute depuis le début…
_AH !… Ah, vraiment ?
_Oui, et je trouve ta façon de raconter les choses, comment dirais-je, forte intéressante.
_Euh… Euh… Vous trouvez ?
_Oui, je trouve ! Et c’est pourquoi j’ai hâte de t’entendre conter la fin de cette histoire.
Ratuno avait parler de ce ton faussement aimable qu’emploient les gens importants pour exiger ce qu’ils veulent à leur subordonnés. Abûsake n’avait plus le choix, il devait s’exécuter.
_Très bien… Donc… Où en étais-je ?
_Vous alliez expliquer à mon fils comment nous autres animaux avons acquis la conscience.
_Ah oui, c’est vrai… Cependant, vous n’ignorez pas que cela peut être choquant pour un enfant de son âge : voulez vous vraiment que je le lui enseigne dés à présent ?
_Oui, je le veux.
Ratuno commençait à perdre patience, ce qui ajouta encore à la détresse d’ Abûsake. De toute évidence, Ratuno s’était rendu compte que le vieux précepteur racontait des boniments à son fils, et maintenant, le maître ninja se vengeait en le forçant à poursuivre cette grotesque mascarade en sa présence.
A bout de nerf, Abûsake était sur le point de se jeter à genoux pour implorer son pardon lorsque Tekase prit la parole pour la première fois depuis que son père était arrivé.
_Père, connaissez-vous la légende de Jo ?
_Non mon fils… D’ailleurs, avant que maître Abûsake ne me dise qu’il était en mesure de te l’enseigner, je pensais que cette histoire avait été oubliée de tous. Et c’est pour profiter de sa connaissance que moi aussi, je suis ici aujourd’hui !
Etait-ce possible ? ! Abûsake n’arrivait pas y croire. Ainsi donc, Ratuno lui-même ne connaissait pas ce mythe. Cette nouvelle inespérée allégea tant l’esprit du vieux précepteur que bien vite de nouvelles idées pour son histoire ne tardèrent pas à affluer.
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_Je disais donc que tous les hommes avaient fini par être dévorés par l’infâme démon, et que leurs âmes étaient prisonnières de son énorme panse.
Mais ayant mangé les hommes, le démon n’avait plus de serviteur pour lui apporter de quoi contenter son appétit, et ses yeux, qui lui avaient permis de chasser les humains avec tant de faciliter, étaient inefficaces contre les animaux, car ceux-ci n’avaient alors pas de conscience…
Un démon ne peut mourir, mais, privé de nourriture, il finit par s’assécher au point d’être réduit à l’état de statue d’argile. Trop faible pour se maintenir debout, il chuta et se brisa en sept cent soixante-dix sept morceaux si légers que le vent les emporta à sa guise, au quatre coin du monde.
Quand aux âmes, elles furent libérées, et trouvèrent refuge dans le corps des animaux.
Et c’est ainsi, que les animaux s’éveillèrent.
Abûsake arborait à présent le petit air hautain des orateurs qui sont convaincus d’avoir conquis leur auditoire. Il était tout particulièrement fier du coup des sept cent soixante-dix sept morceaux, car ce chiffre faisait clairement référence aux sept cent soixante-dix sept fragments sacrés détenus par l’Empire Chat des Minu-Minu, reliques que les ninjas Ratuno s’efforçaient depuis longtemps déjà de dérober, mais simplement pour le plaisirs d’embêter un peu !
Pourtant, aussi bien Ratuno que son fils semblaient songeurs. C’est Tesake qui le premier prit la parole.
_Maître, mais qu’en est-il des humains ? Vous dîtes qu’ils ont tous été dévorés… Pourtant, il existe toujours des humains. D’où viennent-ils alors ?
_Flûte ! Je les avaient complètement oubliés ceux-là !
_Que dîtes-vous, maître ?
_Euh, rien, euh… C’est juste que j’ai oublié de vous dire que certains humains avaient été gobés tout rond, aussi, lorsque le démon se brisa, ils étaient encore en vie et furent libérés. Ce sont d’eux que descendent tous les humains.
Tekase semblait plus ou moins satisfait de cette réponse, mais Ratuno, pour sa part, affichait une mine de plus en plus perplexe.
_Je ne comprends pas bien… Si des humains vivaient encore, pourquoi les âmes ne sont pas retournées en eux ?
_Parce que… euh… Si vous étiez une âme, et que vous auriez à choisir entre le hommes, et les animaux…
_Et les poissons.
_Euh, oui vous avez raison jeune Tekase, il y a aussi les poissons… Enfin donc, entre l’animalité, l’humanité et la… « poissonnalité », qu’auriez vous choisi, noble Ratuno ?
_Et bien l’animalité, bien sûr !
_Exactement ! Et les âmes en firent autant ! C’est pour ça que dés qu’elles en ont eu l’occasion, elles ont changées de propriétaire !
Intérieurement, Abûsake poussa un grand « ouf ! » de soulagement lorsqu’il vit les sourcils du grand Ratuno reprendre leur inclinaison normal… Mais c’était sans compter sur la peste qui lui tenait lieu de fils !
_Maître, j’ai une dernière question : vous dîtes qu’un démon ne peut pas mourir, pourtant celui de votre légende est dispersé en sept cent soixante dix-sept morceaux… ça doit faire terriblement mal, non ?
_Oui, oui, ça fait mal ! Mais pour un démon ce n’est pas fatal ! D’ailleurs, il suffirait de reconstituer les morceaux, de jeter un peu de sang dessus, et « hop », le démon reprendrait forme et pourrait à nouveau replonger le monde dans sa chaotique tyrannie !
_En êtes vous sûr ?
Ratuno, les yeux brillant d’une étrange lueur, venait de poser cette question comme si sa vie dépendait de la réponse. Aussi, Abûsake soigna ses mots.
-Parfaitement ! Je le tiens de mon père, qui lui même le tiens de son père, qui l’avait appris de la bouche de son père, qui ,lui, en avait pris connaissance par l’intermédiaire d’un type qu’il a rencontré dans une taverne et qui avait la particularité de voir le passé dans le sake… Et dans un grand bol, il a vu tout ce que je viens de vous dire !
Impressionné, Ratuno hocha la tête d’un air satisfait.
_Et bien dans ce cas, voici une tâche à laquelle notre clan doit s’atteler.
_Quelle tâche, père ?
_Nos ninjas doivent retrouver les sept cent soixante-dix sept fragments pour que nous puissions nous livrer au rituel qui fera revenir dans notre monde ce tout puissant démon !
_Mais pourquoi cela, père ?
_Parce que nous sommes les méchants, fils !
Et sur ce, le grand Ratuno, d’un pas majestueux, s’en fut, suivit de près par un Abûsake tout de même un peu inquiet de la tournure des choses. Quand à Tekase, il resta seul, si bien que personne ne l’entendit chuchoter cette ultime interrogation.
_Mais pourquoi ça s’appelle la Légende de Jo ?!